Les matins (5)

Edouard Bonnet

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Edouard Bonnet

5 h 00. Ton réveil sonne. Ton train part dans 40 minutes. Ne pas faire de bruit. Sortir en douceur du lit pour ne pas la réveiller. Froid. Trop froid. Descendre comme un chat, comme un voleur. Ton sac est prêt. Tu dois juste trouver tes vêtements dans le noir. Chasse au trésor aveugle. T'habiller ne te réchauffe pas. Ça viendra. 5 h 10. Juste le temps pour un café et un yaourt. Remonte la regarder dormir. Prendre un instantané, une photo mentale pour tenir le temps de la retrouver. Tu as toujours l'impression que tu ne la reverras jamais. Que ton départ est définitif. Sans retour. Tu l'embrasses dans les cheveux et tu effleures ses lèvres. Elle entrouvre ses yeux, sa main cherche ton visage, le trouve, le caresse. Elle te dit des mots doux d'une voix inaudible. Tu lui réponds que tu l'aimes et que vous vous retrouverez bientôt. Elle sourit. Tu t'éloignes. Tu t'extirpes. Tu vous déchires dans la ouate, dans le silence engourdi des matins de janvier. Elle est déjà repartie dans son sommeil, beauté insouciante d'un corps en proie aux rêves. Toi, tu vas affronter la bise hivernale de 5 h 15, tu es contrit, glacé, meurtri. Tu prends tes sacs, jette un dernier regard attendri vers l'escalier, qui n'est qu'un bête escalier mais qui n'en reste pas moins le sien, et tu passes la porte. Ne pense pas. Ne perds pas de temps. L'immeuble se fond déjà dans le brouillard derrière toi. En avant. Prépare ton billet. Enfonce tes écouteurs dans tes oreilles. Une musique au hasard. Jacques Brel, Orly. Une bande originale un brin cliché pour le film à petit budget de ta vie.

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